55)Baroin, le retour
François
Baroin
(Photo AFP)
Depuis quelques jours, on ne voit plus que François Baroin, ancien ministre de Chirac et président de l’Association des maires, sur les plateaux de télévision.
Il fait une rentrée électorale et ne s’en cache pas vraiment. Il pourrait apparaître comme une alternative acceptable à Emmanuel Macron.
FRANÇOIS BAROIN est un modéré
qui défend ses causes avec acharnement. Doté d’une belle prestance, il est jeune (48 ans), charmant (un autre gendre idéal) et relativement dynamique. Il vient de réintégrer les instances stratégiques des Républicains.
De tous les candidats possibles de la droite, y compris Xavier Bertrand (qui travaille dur pour le bien-être des habitants de sa région, les Hauts-de-France), et Valérie Pécresse (présidente de la région Île-de-France),
c’est peut-être celui qui a le plus de charisme. Il a déclaré ce matin qu’il voulait desserrer l’étau entre Macron et Marine Le Pen. Son optimisme est le bienvenu mais se heurte à des difficultés
considérables : avant d’aspirer à la magistrature suprême, il aura pour objectif de remonter la pente que LR a si vite descendue, avec les présidentielles et les européennes. Un succès aux municipales pourrait
lui donner un bonus.
Paysage politique : un puzzle.
Les tout récents sondages sur les élections de 2022, d’ailleurs prématurés, donnent
Emmanuel et Macron au coude-à-coude, entre 27 et 29 % des suffrages, avec, loin derrière, Jean-Luc Mélenchon et le candidat LR, encore inconnu. M. Baroin a le temps de desserrer l’étau. Mais il lui faut œuvrer à
la réunification d’un parti très divisé et, au-delà, énoncer un programme qui séduise une majorité. Deux tâches titanesques. On peut cependant faire confiance à un calme qui, jusqu’à
présent, lui a interdit d’élever la voix, à une élégance dont il ne se départit jamais, et à ce sang-froid sans lequel on n’est pas un homme d’État. Son plus sérieux problème,
c’est la convergence des idées qu’il peut avoir avec celles du macronisme. Jamais le paysage politique n’a autant ressemblé à un puzzle et jamais le pays n’a eu autant besoin d’unité. Ce que disent
les sondages, en réalité, c’est que le Rassemblement national fera son meilleur score en 2020. Au second tour, Marine Le Pen obtiendrait 45 % des suffrages. C’est dire qu’elle a toutes les raisons de se présenter, car
plus personne n’a honte de voter pour elle.
Le comeback de l’ancien monde.
La chance de M. Baroin, ce sont les municipales, car LR est déjà bien
implanté et va à la conquête des mairies avec la foi du charbonnier, alors que la République en marche réinvente la cacophonie et risque de perdre des villes aussi importantes que Paris, Lyon et Marseille. La querelle dérisoire
entre Benjamin Griveaux et Cédric Villani est le signe avant-coureur d’une défaite dans la capitale, alors que les Parisiens ont voté très majoritairement pour Macron en 2017. Même absurdité à Lyon où
Gérard Collomb veut être réélu maire sans que Macron ait pu convaincre son concurrent, David Kimelfeld, de lâcher prise. Derrière le « nouveau monde », l’ancien revient au galop. Il ne s’agit
plus des qualités personnelles ou de l’intérêt des programmes, il s’agit d’ego. Les cas de confusion au sujet des démarches de la République en marche sont nombreux. Ses élus ou militants ne recherchent
pas la meilleure organisation, ne tentent même plus de s’entendre avec des alliés possibles partageant au moins une partie de leurs idées, ils se contentent d’assister à des matches de boxe, tandis que le président,
pour sa part, s’abstient de protéger la cohésion du mouvement.
Mais il appartiendra à M. Baroin, s’il veut réussir, d’apparaître, comme ses prédécesseurs,
comme le chef naturel des Républicains. Parmi eux, nombreux sont ceux qui le trouveront trop soft, trop mou, trop modéré. Son pire ennemi, c’est la démagogie. Si on en juge par le tempérament que l’on
a eu maintes fois l’occasion d’observer, c’est un excellent homme, qui ne tombera jamais dans la vulgarité ou dans le mensonge. Malheureusement, nous sommes dans une phase historique où certaines qualités se transforment
en défauts.
RICHARD LISCIA
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54)La chronique de Richard LisciaLa bataille du troisième
tour : la droite ne songe qu'aux législatives
La droite a certainement fait un score plus honorable que le PS au premier tour de la présidentielle
; elle n'en sort pas moins meurtrie d'une expérience éprouvante qui la prive d'une victoire à laquelle elle pouvait croire il y a quelques mois encore. Jugeant sans doute que Marine Le Pen, pourtant si combative, ne peut pas l'emporter
contre Emmanuel Macron (analyse la plus répandue), elle espère, non sans audace, gagner les élections législatives et forcer M. Macron à constituer un gouvernement de cohabitation.
Ce projet, issu d'une frustration fort compréhensible, n'en comporte pas moins quelques vices de forme. Il présuppose en effet que le leader d'En Marche ! qui, pourtant, présentera
des candidatures de députés dans les 577 circonscriptions, est incapable d'en faire élire 289, soit la majorité absolue. S'il faut un appoint substantiel à En Marche !, cela signifie que les quatre premiers candidats
du premier tour auront chacun un nombre relativement élevé de députés. On devine que, malgré les contraintes du scrutin majoritaire à deux tours, le Front national, qui n'a cessé de progresser depuis cinq ans,
à la faveur des élections municipales, européennes et régionales, est en mesure d'envoyer quelques dizaines de députés à l'Assemblée, comme il l'avait fait en 1986, grâce au scrutin proportionnel,
imprudemment décidé par François Mitterrand.
Le sursaut de la droite passe donc par une Assemblée sans majorité, divisée et incontrôlable, peu favorable au lancement des réformes
de fond dont le pays a tant besoin et dont l'absence accentuera la dérive économique, sociale et politique du pays. Ce n'est pas souhaitable. Il y avait même un peu d'arrogance, chez François Baroin, lorsqu'il s'est déclaré
disponible, la semaine dernière, pour le poste de Premier ministre de cohabitation. On ne parle que de lui pour cet emploi, parce qu'il a fait partie de la cabale sarkozyste contre M. Juppé et en faveur de M. Fillon, avec les conséquences
que l'on sait, c'est-à-dire l'échec de la droite et du centre dès le premier tour.
Or M. Macron n'a absolument pas la disposition d'esprit que M. Baroin semble lui attribuer. Piqué par les
coups de communication de Marine Le Pen et les reproches sur le trop lent démarrage de sa campagne du second tour, il entend tenir la dragée haute non seulement à ses adversaires mais à tous ceux qui se rallient à lui par
opportunisme plutôt que par conviction. On a déjà eu l'occasion de constater que, chez lui, la fermeté en politique n'attend pas le nombre des années. Il n'entend faire confiance qu'à ceux qui ont adhéré
au tout début à son projet. De toute évidence, M. Baroin n'est pas de ceux-là.
Macron ne fera pas de cadeau
Il y a une légitimité,
chez les Républicains, à vouloir récupérer une partie de leur influence à la faveur des législatives, d'autant que le programme de M. Fillon était, de l'avis du plus grand nombre, le plus complet et le plus
abouti. Cependant, ils doivent tenir compte d'une dynamique qui ne joue pas en leur faveur. D'abord parce que M. Fillon n'est plus là et que M. Baroin, qui dirigera la campagne des législatives justement pour apparaître comme un Premier
ministrable, ne nous dit pas s'il va appliquer ou amender le programme de M. Fillon. Ensuite, parce que le chantier qui attend le prochain gouvernement est assez énorme pour ne pas supporter les négociations interminables, les louvoiements et
les compromis médiocres. M. Macron, pour sa part, a bel et bien l'intention de tirer avantage des institutions de la Vè République et de la dynamique enclenchée par la présidentielle, puis de faire jouer en sa faveur le scrutin
majoritaire. Tout dépend évidemment, du résultat du second tour. S'il se contente de battre Mme Le Pen, mais seulement d'un cheveu, son projet risque d'être amendé. Si, en revanche, il renvoie le Front à son destin
minoritaire, il bénéficiera de la volonté populaire qui, après l'avoir désigné, souhaitera lui donner carte blanche, au moins au début de son mandat.
La conjonction
du grand désarroi des Français et du besoin national d'une large réforme économique et sociale peut lui donner une autre chance extraordinaire après l'avoir conduit, en si peu de temps, là où il est déjà.
Toutefois, un certain nombre de ses propositions, comme l'abolition partielle de la taxe d'habitation ou la hausse de la CSG, risquent fort d'être impopulaires. S'il parvient se lover dans les habits d'un président, peut-être devra-t-il
aussi réviser une partie de son programme
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53)Bataille
au finish
Présent au second tour, à sa manière
(Photo AFP)
A trois jours du second tour de la présidentielle, la journée sera marquée par le débat télévisé de ce soir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui promet d’être
vif et risque de ne pas clarifier les positions de chacun des deux candidats.
CE MATIN, sur France Info, un débat entre Florian Philippot et Richard Ferrand, un
des très proches de M. Macron, a vite tourné à l’empoignade et on ne peut pas dire qu’il ait éclairé les intentions d’En Marche ! et du Front national. C’est à la fois regrettable et inévitable,
tant la tension, depuis les résultats du premier tour, a été portée à son comble par une Le Pen survoltée, qui a réinventé son vocabulaire pour mieux disqualifier son rival. Si le démarrage de
la campagne du second tour a été défavorable à M. Macron, la deuxième semaine de confrontation a fait perdre des plumes à la candidate. Il n’est pas sûr que son mariage de raison avec M. Dupont-Aignan compense
par plus de suffrages la perte de crédibilité ; pour réduire la contradiction entre cette alliance et sa position, elle est entrée dans des explications qui font qu’on ne comprend plus rien de ce qu’elle entend faire,
sur un sujet, l’euro, qui inquiète énormément l’électorat ; prise en flagrant délit de plagiat, elle a renvoyé le Front à sa réputation sulfureuse, faite de petites ou grandes malhonnêtetés
; sa loghorrée, où le mot oligarchie est présenté comme l’alpha et l’oméga de sa vision politique, commence à lasser ceux qui l’écoutent avec le plus de bienveillance.
Une abyssale incompétence.
La vérité est que Mme Le Pen ne résiste guère au choc du réel. L’histoire de l’euro, abandonné puis maintenu,
supprimé immédiatement ou dans deux ans, remplacé par la coexistence de deux monnaies, une nationale, une autre pour les échanges, effacé ou non par un référendum, puis la référence à l’écu
ou au serpent monétaire, dispositifs qui ont précédé la monnaie unique mais ne sauraient coexister avec elle, révèle en définitive une abyssale incompétence. Donner le pouvoir à des gens qui restent
incapables d’expliquer ce qu’ils ont conçu, voilà où réside le danger, sans compter la brutalité d’un programme qui, non seulement mettrait la France à genoux, économiquement et socialement
parlant, mais réduirait sensiblement nos libertés.
Ôtez le désengagement de l’Europe et de l’euro et la plate-forme du FN se réduit à quelques mesurettes dont le financement est bien aléatoire.
Il est très facile de diminuer de dix pour cent l’impôt sur le revenu, encore faut-il financer une décision qui coûterait plus de six milliards à l’Etat. Et tout est à l’avenant. S’exprimant « au
nom du peuple » et non plus d’un parti infiltré par des néo-fascistes et des nazillons, Mme Le Pen nous dit : « Plus social que moi, tu meurs ». L’effort de banalisation ainsi entrepris rappelle
l’entrisme du FN dans les syndicats pendant les années 90. L’expérience n’a pas duré longtemps et, aujourd’hui, Mme Le Pen entend mener ses réformes tambour battant, sans trop se préoccuper de ces
deux-tiers du pays qui lui sont de toute façon hostiles.
Immense confusion des valeurs.
La gauche de Jean-Luc Mélenchon, qui sort galvanisé, sinon
triomphant, du premier tour, ne renforce guère l’exercice de la démocratie. M. Mélenchon est allé consulter les 450 000 adhérents de la « France insoumise » et environ 250 000 ont répondu
à ses questions. Les deux-tiers votent blanc ou s’abstiennent, le troisième tiers vote Macron. Toujours se référer au peuple, quel bel exercice démocratique ! Sauf que le chef du Parti de gauche a chauffé ses
troupes à blanc avant de leur demander leur avis et qu’il a obtenu ce qu’il voulait, un très faible soutien à Macron et tant pis si Le Pen est élue.
On s’habitue à tout, y compris à l’affaissement
de la droite et du PS et à l’immense confusion des valeurs que nous proposent ces deux démagogues forcenés que sont Le Pen et Mélenchon. Oui, ils représentent à eux seuls au moins 40 % de l’électorat
et c’est pourquoi une éventuelle victoire de M. Macron ne sera pas suffisante pour panser les plaies de la société française. Oui, tout a basculé depuis le premier tour car non seulement les partis de gouvernement ont
été chassés du pouvoir mais les formations soumises à la tentation totalitaire mènent un bal infernal. Nous avons tous compris et dit qu’il y a une France qui souffre depuis trop longtemps et que la droite et la gauche
n’ont pas su lui apporter le réconfort et les solutions économiques et sociales qu’elle méritait. Pour ma part, je milite depuis des décennies pour une lutte anti-chômage et anti-inégalités qui se
donne les bons moyens fiscaux pour redresser le pays. La négligence des gouvernements qui se sont succédé, les blocages insensés de la société française, l’indigence des nostalgiques de temps révolus
ont contribué à une dérive : le vent se lève contre la démocratie.
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52) ombres et lumières d'une transition
Les éléments
positifs équilibrent les éléments négatifs du premier tour de la présidentielle. La menace des extrêmes semble écartée, mais le nouveau paysage politique sera une source de durs conflits.
On peut penser ce qu'on veut d'Emmanuel Macron, il nous a quand même rendu service en battant Marine Le Pen et en empêchant Jean-Luc Mélenchon d'être présent au second tour. Le soulagement national, européen
et international, la vive hausse des marchés et de l'euro témoignent de l'exploit réalisé par l'ancien ministre de l'Économie. Aujourd'hui, la France a une bonne chance de se réformer, donc de se redresser et d'échapper
à ces programmes de gouvernement brandis par Mme Le Pen et M. Mélenchon, qui proposent deux méthodes pour parvenir très vite à la faillite du pays. De ce point de vue, le succès de M. Macron est incontestablement celui
de la démocratie française.
Le tableau général dressé par les résultats du scrutin n'est pas pour autant encourageant. Deux candidats, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon
ont fait des scores élevés et représentent à eux seuls 40 % de l'électorat alors que leur intention est de durcir l'autorité gouvernementale, ce qui constitue déjà une menace pour les libertés,
et qu'ils s'opposent, chacun à sa manière, à l'Europe, à l'euro, au désendettement, au retour à l'équilibre de nos fondamentaux. Or ils ne sont pas seuls. Les électeurs de Nicolas Dupont-Aignan, qui a
presque obtenu 5 % des suffrages, risquent fort de voter FN au second tour. Les autres petits candidats pourraient ajouter leurs maigres scores à ceux de Mme Le Pen ou de M. Mélenchon. Seul Benoît Hamon garde une spécificité
en principe insoluble dans un parti extrémiste, et encore rien n'est sûr.
Le problème principal de cet entre deux-tours, c'est la crise violente qu'il inflige aux Républicains et aux socialistes.
LR et le PS doivent s'adapter à une situation inédite au moment où les querelles personnelles deviennent aiguës, où le leadership doit être réattribué, où le pays est impatient d'obtenir une action
réformatrice en profondeur. La droite n'a pas caché ses intentions : elle soutiendra Macron pour le second tour mais elle se réserve le droit, et, en somme, c'est bien naturel, de faire une campagne pour les législatives avec
l'espoir de créer à l'Assemblée un groupe puissant, peut-être majoritaire. Cela signifie qu'elle n'entend nullement laisser carte blanche à M. Macron, même si François Fillon, tirant la leçon de son échec,
a renoncé à diriger la campagne de la droite pour les législatives. Il reste que LR entend forcer le prochain président à nommer un gouvernement de cohabitation dont le Premier ministre et les ministres seraient issus de
la droite et du centre.
Prendre garde aux équlibres instables
Ce n'est pas exactement la thérapie dont la France a besoin car les réformes
fondées sur des compromis ne sont jamais radicales, et se situent à mi-chemin des mesures drastiques indispensables au changement. Bien avant la fin du mandat du nouveau président, le pays sera plongé dans une nouvelle crise
de confiance s'il ne parvient pas rapidement à réduire le chômage. On ne sait pas du tout quelle sorte d'Assemblée sera issue des élections législatives. Des partis qui ont recueilli 20 % ou plus des suffrages
peuvent obtenir une forte représentation. L'Assemblée serait alors divisée en quatre groupes de calibre comparable, ce qui rendrait le pays ingouvernable et le président impuissant. Même si Mme Le Pen était battue au
second tour par un rapport 60/40, et malgré les effets du scrutin majoritaire à deux tours, elle peut envoyer à l'Assemblée plusieurs dizaines de députés FN. Et M. Mélenchon en ferait tout autant.
Un président forcé à cohabiter, en butte à de fortes minorités susceptibles de s'allier pour bloquer ses réformes, ne pourrait pas apporter à la société française
le souffle réformiste que la crise exige. L'intérêt bien compris du peuple est de lui accorder une majorité. Mais ce n'est pas l'intérêt de chacun des partis en lice. On peut donc dire que, si nous devons à
M. Macron une fière chandelle, le retour à la stabilité politique n'est pas du tout garanti. Il fallait bien, cette année, passer par des convulsions politiques dès lors que l'électorat exprimait une énorme
insatisfaction. Le malaise général n'est pas pour autant propice à l'efficacité.
51)La quinzaine de tous les dangers
Mélenchon : pas de consigne de vote
(Photo
AFP)
Le réveil post premier tour produit la gueule de bois des lendemains de nuit agitée. Un mouvement se dessine en effet qui pourrait offrir la victoire à Marine Le Pen au second tour.
LE DANGER représenté par l’extrême droite n’est plus perçu avec la même acuité qu’il y a quelques années encore. On
n’a pas assisté lundi à l’immense sursaut anti-Le Pen que la qualification de la candidate aurait dû soulever. Rappelez-vous : en 2002, les Français avaient manifesté contre Jean-Marie Le Pen, qualifié pour
le second tour. Ils auraient mieux fait de voter, mais au moins ont-ils indiqué l’aversion que le Front national leur inspirait. Cette année, la droite, soucieuse de son unité, a passé un « compromis »
qui revient à dire qu’il n’y aura pas de consigne de vote pour Emmanuel Macron ; bien entendu, les suppôts du conservatisme archaïque, comme Christine Boutin, toujours en retard de cinquante ans sur l’évolution de
la société, annoncent un vote pour Mme Le Pen ; et le pire, peut-être, c’est que la gauche de Jean-Luc Mélenchon se refuse, en tout cas jusqu’à présent, à soutenir officiellement M. Macron. Cette
dérobade montre la vraie nature de la France dite insoumise : ce que M. Mélenchon ne peut pas avoir, il ne veut pas qu’un démocrate l’obtienne et il joue le chaos. C’est le même qui chante le mot France dans ses
discours holographiques et nous cite Thucydide pour mieux nous épater. Ses hésitations à choisir le camp démocratique révèlent à la fois ses puissantes affinités avec l’autoritarisme et l’anti-européanisme
de l’extrême droite et une vague idée qui lui fait croire qu’en contribuant au délitement national il finira par tirer son épingle du jeu. Il a fourni pendant la campagne diverses raisons de s’écarter de
lui, voilà qu’il ajoute la paille qui casse le dos du chameau.
Gauche peau de chagrin.
Avant le scrutin, il était courant de dire que l’influence
de la gauche française rétrécissait comme une peau de chagrin. Elle ne pesait pas plus de 35 % du corps électoral. Effectivement, les résultats du premier tour indique qu’en additionnant Mélenchon, Hamon, Poutou,
Arthaud, on arrive à 30 % ou à peine un peu plus. M. Macron, néanmoins, peut se targuer d’avoir été élu par de nombreuses voix de gauche, d’autant que, parmi ses soutiens, on compte de multiples figures
du PS. Mais il est impossible de savoir avec précision le pourcentage des socialistes qui ont voté Macron. Ce que montre le premier tour, c’est que la structure du corps électoral a été bouleversée. On compte
quatre blocs : droite, En Marche !, extrême droite, extrême gauche. La gauche a pratiquement disparu et la droite a perdu un tiers de son électorat, du moins à l’occasion de la présidentielle, ce qui ne se vérifiera
pas nécessairement lors des législatives.
La logique constitutionnelle exigeait une alliance tactique entre la droite et En Marche !, avec le soutien de ce qui reste de la gauche classique. Il n’en est rien. Frileuse, inquiète
pour son unité, très menacée, soucieuse d’éviter « l’implosion » qui a failli, selon Gérard Larcher, emporter les Républicains, la droite fait un gros caprice, ou plutôt, elle
essaie de garder ses chances pour l’avenir. On peut comprendre ses calculs stratégiques, on ne comprend pas qu’elle minimise ainsi l’enjeu du second tour. Il existe une possibilité bien réelle d’une victoire de
Marine Le Pen le 7 mai. Elle ne sera écartée que par la mobilisation de tous les républicains et démocrates. Rien n’empêche ensuite la droite et le centre de reprendre leurs billes pour tenter, au troisième tour,
c’est-à-dire à l’occasion des élections législatives, d’obtenir la majorité à l’Assemblée. Ce n’est pas souhaitable du point de vue de la cohérence des institutions puisque
M. Macron, s’il était élu, serait contraint de cohabiter avec les Républicains et les centristes. Mais on peut espérer une émulation réformiste entre le nouveau président et la nouvelle majorité.
Soeurs ennemies.
Non seulement la bataille contre l’extrême droite n’est pas conduite avec toute l’ardeur requise, mais le danger Mélenchon
n’est même plus évoqué, alors qu’il a fait un score presque égal à celui de François Fillon. Il a réussi à rassembler tous les irascibles de France, ceux qui veulent en découdre avec
ce qu’ils appellent le « système » et qui risquent bel et bien de voter Le Pen pour en finir avec l’Establishment, lequel leur inspire une haine inexpiable. Que M. Mélenchon se serve de ses suffrages pour stopper
la démocratie française en dit long sur la nature même de ses convictions. Je le dis tout net : il est intolérable que des gens qui se réclament de la République ne considèrent par Mme Le Pen comme une catastrophe
pour le pays. Fort heureusement, il n’est pas impossible que l’électeur soit plus clairvoyant, plus courageux et plus déterminé que les partis ou les mouvements politiques. Et qu’il comprenne où se situe son devoir.
M. Macron, quant à lui, doit faire ces jours-ci une campagne exemplaire et montrer qu’il constitue à lui seul une défense naturelle contre le sinistre climatique que nous préparent ces deux soeurs ennemies que sont l’extrême
gauche et l’extrême droite.
RICHARD LISCIA
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50)REFORME OU DESORDRE
La chronique
de Richard LisciaCeux qui veulent changer de République : le coup d'Etat électoral
Richard Liscia Il est entendu que quatre des onze candidats à la présidentielle sont en mesure d'être élus car aucun n'a vraiment l'avantage sur les autres. De plus,
les sondages ne sont pas fiables et l'ordre qu'ils nous annoncent pourrait être démenti au premier et au second tour. Cette incertitude conduit à au moins une hypothèse : un candidat représentant moins d'un cinquième
des Français peut l'emporter.
Lequel ? La popularité dont bénéficie Jean-Luc Mélenchon fait de lui un vainqueur possible, celui qu'on n'attendait pas mais que l'atmosphère délétère
d'une campagne qui a dressé les Français les uns contre les autres rend plausible. Comme Marine Le Pen, ou les candidats dits « petits » qui prétendent s'inspirer du gaullisme pour mieux démanteler la constitution
gaulliste de la Vè République, M. Mélenchon, s'il est élu, entend convoquer une assemblée constituante et passer à la VIè République, quitte à mettre en jeu son propre mandat. On peut être
certain que la plupart de ses électeurs le savent à peine et, en tout cas, n'imaginent pas les conséquences de cette démarche.
De son côté, Marine Le Pen maintient un programme axé
sur la rupture avec l'Europe et l'euro, ce que, de toute évidence, ses électeurs ne lui reprochent guère. On peut se demander ce qui justifie, dans l'esprit du public, des politiques aussi draconiennes. Le Pen, Mélenchon, Dupont-Aignan,
Ausselineau, Cheminade, Poutou et Arthaud se sont employés à décrire une crise française d'une telle ampleur qu'elle nécessiterait une révolution. C'est en effet par la révolution, ou par une sorte de coup d'Etat
électoral, que divers candidats souhaitent changer la France. Comme ils n'ont pas cessé d'attiser la colère des Français, exaspérés par deux mandats successifs qui n'ont pas réduit le chômage, ils comptent
bien en récolter les raisins.
Comment faire de la France un paria en Europe
Les pays étrangers qui observent la campagne en France
constatent qu'au danger représenté par Le Pen s'ajoute celui du programme de Mélenchon, vaste rêverie où une dépense de 275 milliards le dispute à une hausse du Smic jusqu'à 1 700 euros, capable de ruiner
à peu près toutes les PME. En outre, si le candidat de la France insoumise ne préconise pas spécifiquement la sortie de l'euro, ses propositions tendent toutes à un clash entre la France et l'Union européenne. Les
marchés l'ont compris qui ont additionné la crédibilité nouvelle de Mélenchon à ses idées destructrices, mélange détonant. Ils baissent. Les Allemands sont doublement inquiets face à une
surenchère qui fait monter contre l'extrême droite non pas un parti de gouvernement mais l'extrême gauche dans toute sa candeur originelle, marxisme et totalitarisme compris.
Ces politiques d'extrême
droite ou d'extrême gauche feraient de la France un paria en Europe. Jusqu'à il y a encore un mois, nos partenaires européens étaient sereins. Ils croyaient que, contre le Front national, surgirait un parti de gouvernement. Le fait
que le second tour puisse opposer Mélenchon à Le Pen éloigne donc l'espoir d'une France apaisée, orientée vers la réforme. Car, si les descriptions de la crise par les extrêmes sont exagérées, elles
s'appuient bel et bien sur un malaise national, fait de chômage, d'hostilité à l'égard des gouvernants, de lassitude face à la durée du marasme. Le seul moyen de rendre au pays son énergie, ce n'est pas une révolution
qui l'achèverait, c'est la réforme. Deux candidats en défendent le principe : François Fillon et Emmanuel Macron. Dans l'inquiétude des Européens et de nombreux citoyens français, il y a l'absence d'une dynamique
Fillon jusqu'à présent, c'est-à-dire à quatre jours du premier tour, et l'effritement apparent du leader d'En Marche !
Cette présidentielle n'est décidément pas enthousiasmante
alors qu'on pouvait espérer la naissance d'un pouvoir à la fois fort et cohérent. Tout électeur doit participer à l'effort national pour éviter une aventure extraordinairement périlleuse. Quel que soit
le ressentiment inspiré par la politique et les politiciens, il faut que chacun comprenne que son sort dépend de la réforme, pas du désordre.
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49)Macron en tête(il y a 3jours...)
Devant Le Pen au premier
tour ?
(Photo AFP)
Les erreurs prévisionnelles des sondages nous ont enseigné la prudence en la matière. Il ne faut jamais se fonder sur une seule enquête d’opinion. Il
est préférable d’en faire la moyenne.
À NEUF JOURS du scrutin, il est possible de dégager quelques fortes tendances. On trouve quatre « grands » candidats
qui, à cause de la marge d’erreur, se retrouvent dans un mouchoir de poche et peuvent avoir une chance de l’emporter au second tour. Marine Le Pen semble avoir cédé la première place à Emmanuel Macron, qui se
situerait à 24% contre 22 à la présidente du FN. François Fillon a certainement progressé et se situe aujourd’hui entre 18 % (hypothèse basse) et 20% (hypothèse haute). Un sondage Harris Interactive publié
ce matin lui accorde 20 % en tout cas, ce qui semble confirmer sa progression. Jean-Luc Mélenchon, dans le même sondage Harris Interactive, atteint 19 %, alors que, selon d’autres enquêtes, il ne dépasse pas 18 %. Enfin, la
moyenne des sondages accorde seulement entre 8 et 9 % à Benoît Hamon.
Le Pen privée de second tour ?
On ne se souvient que M. Macron avait subi une
baisse de régime la semaine dernière. Nombre de sondages constataient son effritement ainsi que celui de Marine Le Pen mais, en moyenne, confirmaient la présence en tête de la présidente du Front. Ce ne semble plus être
le cas aujourd’hui, sans doute parce qu’elle a refusé de retirer ses propos sur la rafle du « Vél d’Hiv ». En évoquant ce sujet, ce que personne ne lui demandait de faire, elle a effrayé ceux
de ses électeurs qui ne veulent pas être associés à l’antisémitisme. Cependant, rien n’indique que Mme Le Pen pourrait être éliminée au premier tour. Si on admet que M. Macron fait maintenant
la course en tête, il faudrait, pour que la représentante du Front ne franchisse pas le cap, qu’elle soit rattrapée par M. Fillon (avec au moins trois points supplémentaires) ou par M. Mélenchon qui, lui, aurait besoin
de quatre points de plus.
La présence ou non de Marine Le Pen au second tour est d’une importance cardinale. Tout se passe comme si l’électorat qui veut tout changer, et avec lequel il faut diablement compter, trouvait ces jours-ci
chez M. Mélenchon les « avantages » liés à Mme Le Pen. Le fossé idéologique qui les sépare ne compte même pas. Toutes les enquêtes montrent que les indécis sont capables de
passer sans le moindre scrupule de Hamon à Macron, de Mélenchon à Macron et, donc, de Le Pen à Mélenchon. Si les transferts en dehors du Front national seront rares (80 % des électeurs de Mme Le Pen sont sûrs
de leurs votes), trois candidats, Fillon, Macron et Mélenchon peuvent, au moment du test décisif, améliorer leur score ou, au contraire, perdre des points par rapport aux sondages.
Le résultat
sera forcément surprenant.
Le premier enseignement est qu’il ne faudra pas être surpris d’un résultat qui a de bonnes chances de surprendre tout le monde. Le second est que, du point
de vue des démocrates, il existe deux dangers graves : Le Pen et Mélenchon. Il se trouve que Harris Interactive a fait des tests pour le second tour qui opposent :
1) Macron contre Le Pen. Macron l’emporte dans un rapport 67/33.
2) Fillon contre Le Pen. Rapport beaucoup plus serré, mais suffisant : 58/42
3) Macron contre Fillon : 70/30 en faveur de Macron.
4) Mélenchon contre le Pen : 64/36
5) Macron contre Mélenchon : 58/42
On n’en
tirera aucune conclusion, mais on voit bien que les candidats qui ont la cote sont ceux qui proposent des changements en profondeur. De ce point de vue, Emmanuel Macron apparaît comme un innovateur capable d’obtenir les votes de gauche pour vaincre
le candidat de la droite. Le désir de faire table rase du passé est si fort dans l’électorat que l’affrontement entre Macron et Mélenchon au second tour donne un résultat beaucoup plus serré que l’hypothèse
Macron-Le Pen. Enfin l’exploit de M. Fillon, qui consisterait à se qualifier pour le second tour, ne suffirait pas pour une victoire finale si M. Macron restait en lice.
RICHARD LISCIA
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